Des coureurs et des... marcheurs ! Le second weekend de septembre, tout autour de Wissant, les vertes ondulations du Boulonnais apparaissaient comme ciselées par une myriade de processions de fourmis multi couleur cheminant d’un rythme régulier. Le spectacle était saisissant. De loin, on pouvait imaginer le traçage de dots informatiques, esquissant lentement un dessin destiné à être découpé par un géant encore invisible. Rassurez vous tout va bien, les doux embruns du vent d’ouest n’ont pas de vertus hallucinogènes. Il ne s’agissait que d’un de ces fameux trails qui fleurissent, ici et là, et, en l’occurrence, celui de la Cote d’Opale qui voit ses effectifs, mais aussi la longueur de ses trajets augmenter d’année en année. Mais, le vrai spectacle était très certainement ailleurs. Il était dans le visage, le regard et la détermination de ces coureurs, encouragés par un public fervent. Dans l’imaginaire du sport, ils sont, en effet, regardés comme de véritables héros prêts à sacrifier leurs articulations en parcourant des distances insensées, ici jusqu’à 62 km. Certes, ce sont nos héros d’aujourd’hui, mais des héros de notre culture, de notre confort, de notre civilisation. Ces héros adulés savent pertinemment pourquoi ils courent, mais ils savent aussi que le soir même ils retrouveront un ‘’sweet home’’ tranquille et reposant. Étrangement, à quelques encablures de cette course, d’autres hommes, de constitution similaire, de même allure longiligne, le visage émacié, animé également d’une détermination farouche marchent vers leur propre trophée. Par contre, ceux-là ne connaissent pas leur futur. Ils ignorent, sans doute encore, sous quelle bâche de plastique ils vont pouvoir se protéger, ce soir. Les doux embruns de l’après-midi auront, alors, été balayés par la froide humidité montant du sol à l’approche de l’automne. Ces marcheurs de l’impossible n’ont pas couru, mais parcouru, non pas les 62 km, mais les 1 600 kms de leurs petits villages de Somalie ou d’Érythrée en rêvant d’une arrivée au Royaume-Uni qui leur a, depuis longtemps, fermé les portes. Ces marcheurs ne sont pas des héros. Personne ne les applaudit sur leur passage. Et pourtant, ne sont- ils pas l’exact réplique des illustres trappeurs de France et d’Angleterre ayant traversé, à l’instar de Daniel Boone, les Appalaches du Nouveau Monde. La course est terminée. Ils ne l’ont pas gagnée… Les dès étaient pipés. On ne leur a pas expliqué, là-bas dans le village, qu’il ne fallait ne pas y aller. On ne leur a pas révélé que, bientôt, le monde prendrait acte que l’avenir de la planète nous impliquait tous. Que notre civilisation n’avait plus le choix. Que le temps était venu de constituer un fantastique plan Marshall pour les aider à s’organiser, à construire leur futur chez eux, là où ils devraient pouvoir vivre, grandir, fonder une famille… Que dorénavant, ils pouvaient compter sur nous.... pour les inciter à rester dans leurs villages ! De fait, je vous l’accorde, le vent d’ouest est un peu hallucinogène…