Roger Despwar & Philippe Hope   

 

 

Lundi, 19 Juin 2027

 

 

La cinquantaine dynamique, Philippe Hope faisait les cent pas sur le perron du ‘’Club de Boulogne’’ nouvelle réalisation hôtelière d’Intercontinental Hotels Group sur la  Cote d’opale. Il attendait Roger Despwar, journaliste économique au journal The Guardian de Londres. Celui-ci venait écrire un article sur la Cote d’Opale, à paraître en août.

 

Dix ans auparavant, responsable de la communication à la Chambre de Commerce, Philippe avait gardé le souvenir ulcéré d’un article, signé de son interlocuteur, analysant de façon sarcastique les perspectives et la gestion des projets de développement du littoral.

 

Depuis, la région avait beaucoup changé…

 

 

Caressés par les doux rayons du soleil de ce matin de juin, les deux hommes admiraient l’étonnante structure mélange de verre et bois, plantée en éperon face à la mer.

 

  • À Londres, la Cote d’Opale a fait beaucoup parler d’elle, ces derniers temps, formula Roger, interrompant leur silencieuse méditation.
  • J’ai effectivement eu quelques échos, commenta Hope.
  • Son essor économique et social est perçu comme une réussite vraiment spectaculaire…

Hope se contenta d’un sourire.

  • À en juger par le cadre futuriste de cet édifice, et par la route côtière que j’ai empruntée ce matin, la région a beaucoup changée, continua Despwar… J’avais le souvenir de plages magnifiques et protégées, d’un arrière-pays verdoyant, mais, les villes et villages de la cote avaient, à l’époque, des airs « de belle endormie ».
  • Et pourtant, souvenez-vous, coupa Philippe, il y a dix ans la région bénéficiait déjà d’atouts remarquables… Ne disposait-elle pas d’un équipement autoroutier très en avance sur d’autres régions européennes et déjà l’Internet haut débit commençait à faire évoluer les modes de travail et les styles de vie…
  • En effet conforta Despwar.
  • Par contre, continua Philippe, il faut bien reconnaitre que nous étions empêtrés dans un marasme sans nom avec, en particulier, un taux de chômage de 15 %…
  • Je m’en souviens bien… C’était vraiment dramatique…
  • Tout à fait... Ce qui était d’autant plus désolant, c’est que la population de cette région avait démontré dans le passé sa capacité à innover, à réaliser des prouesses industrielles dans des activités très diverses…
  • Quelle en était la cause, alors ?
  • De mon point de vue, il manquait un ingrédient impalpable : la confiance. L’ouverture du tunnel sous la Manche avait généré beaucoup d’espoir, mais les retombées locales n’avaient pas été au rendez-vous et les attentes avaient été déçues. En réalité, l’effet avait été doublement pervers, non seulement le développement économique ne s’était pas produit, mais, en plus, un certain fatalisme s’était distillé dans les mentalités.
  • Mais alors ! Comment expliquez-vous cette embellie ? demanda Roger Despwar ?
  • Un déclic salvateur !
  • Comment cela ?
  • Je ferais le parallèle avec un malade, au cœur d’une dépression : il paraît en bonne forme, il a tous les atouts pour lui, mais il ne s’en sort pas… Puis, tout à coup, un déclic survient et tout se libère. Il redécouvre la vie, retrouve l’appétit, la joie de vivre. Il s’est passé, ici, la même chose.
  • Vous m’intriguez… Expliquez-moi donc tout cela, demanda le journaliste
  • Il faut se replonger en 2015. À la sortie du tunnel, la gare TGV de Calais n’était pas utilisée à la hauteur de son potentiel. Le trafic se faisait presque uniquement vers Lille et Paris. Bizarrement, l’accès à l’Angleterre par rail depuis le territoire de la Côte d’Opale n’offrait aucune perspective économique, malgré son évidente proximité.
  • Qu’avez-vous fait ? demanda Despwar, de plus en plus intéressé.
  • La région a fini par mettre en place une navette ferroviaire entre Calais et le Kent.
  • C’est ce fameux Metro transmanche ?
  • Oui ! il suffisait de relier la cote d’Opale et le Kent avec un service de transport fonctionnant exactement comme un métro et transitant passant par le tunnel où il y avait encore de la place.. Cela fut relativement simple, car toute l’infrastructure existait déjà.
  • Ah, dites-en plus, insista Despwar.
  • Avec cette nouvelle liaison, la gare TGV de Calais s’est immédiatement retrouvée à moins d’une heure du Centre de Londres, avec un départ toutes les 30 minutes.. Et cela a changé la donne…
  • Je l’imagine bien.
  • Cela a commencé par bénéficier aux demandeurs d’emploi du littoral qui ont pu rejoindre les 350 000 Français résidant à Londres… D’évidence, ils se sont trouvés largement gagnants d’être payés en Angleterre et de vivre de ce coté-ci de la Manche où le cout de la vie est bien moindre… Très vite, cela a donné des idées aux habitants de sud-est de l’Angleterre qui ont jugé malin de s’installer de ce côté-ci du détroit, tout en gardant leur activité professionnelle au Royaume-Uni.
  • C’est effectivement beaucoup moins cher !
  • . En effet, à peu près le tiers du prix.. Mais le plus étonnant, c’est ici …

Philippe se retourna et d’un geste emphatique présenta le vaste ensemble immobilier qui occupe maintenant le port de Boulogne.

  • Voilà ce que les Anglais et Français peuvent faire de mieux quand ils font converger leurs intérêts… Vous aviez à l’époque un besoin de constructions et, en contrepartie, nous avions le foncier.
  • Bravo !... C’est effectivement magnifique… Mais, qui occupent ces immeubles
  • Ce sont principalement la tranche de population qui n’a plus besoin d’être à proximité des écoles, notamment, et qui profite de la valorisation de l’immobilier pour faire vendre leur logement au plus haut et acheter un logement un peu plus loin, mais beaucoup moins cher… c’est ce que vous appelez chez vous des « early nesters ». Mais, il y a aussi les « Fans » de voile qui ont pu trouver un logement juste au-dessus de leur bateau.
  • Cela fait du monde !
  • Regardez donc cet ensemble immobilier.
  • Cela a dû générer beaucoup d’activité !
  • C’est en effet là que tout s’est passé : dans le bâtiment bien sûr, mais également dans les services et le commerce. Ces ‘’early nesters’’ ont eu besoin de toute une série de services divers et variés créant une nouvelle économie. Les chiffres ne sont pas très fiables, mais on pense que cinq arrivants ont finalement créé un emploi…
  • De combien de ménages, parlez-vous ?
  • 30 000 ménages britanniques…
  • Incroyable ! s’exclama Hope. Le secteur du bâtiment a dû tourner à plein régime.
  • Oui, bien sûr. Et cela a transformé toute la région, d’ailleurs… Le choix du développement durable a permis de booster considérablement les nouvelles orientations telles que la TRI, l’économie circulaire et l’économie de la connaissance.
  • Et le tourisme ?
  • Cela a également bénéficié au tourisme local, ajoutant à la clientèle anglaise habituelle, une clientèle de très court séjour, n’hésitant pas à venir sur la journée ou sur la soirée. La gare TGV est extrêmement bien desservie, les liaisons avec les sites touristiques sont régulières.
  • Souvenez-vous de la gare maritime de Boulogne ?... Elle a été réhabilitée en grand équipement culturel et de loisir avec restaurants, bars, boites de nuit et attirant une clientèle éclectique. Éloignée des habitations, cette zone est aujourd’hui un vrai succès.
  • Tout ceci est extraordinaire, dit le journaliste, mais d’un point de vue financier, quelles sont les retombées ?
  • C’est la cerise sur le gâteau.
  • Pourquoi donc ?
  • Voilà… en 2015, les 40 000 chômeurs de la Terre d’Opale coûtaient à la collectivité grosso modo 40 millions d’euros par mois avec fort peu de contribution en retour, au niveau d’une consommation plutôt fruste, d’ailleurs. Aujourd’hui, l’ensemble des collectivités est parvenu à équilibrer ses comptes et envisage d’autres développements.
  • Le cercle vertueux, donc ? Vous m’aviez parlé de l’impact culturel également…
  • Oui et c’est un point essentiel. Pour favoriser l’accueil des Britanniques, l’apprentissage de la langue anglaise aux jeunes enfants, notamment avec l’impulsion du Centre International des Langues à Hesdin, a été développé avec des classes bilingues, des échanges de classes entre écoles françaises et anglaises... Parallèlement, les nouveaux arrivants ont ressenti le besoin d’améliorer leur connaissance du Français.
  • Tout ceci est enthousiasmant, mais je suis convaincu qu’en 2015 pas grand monde y croyait…
  • Je vois que vous connaissez bien la nature humaine...