Lille sur mer !

Il y a une cinquante d’années, nous connaissions Lille, mais aussi Roubaix et Tourcoing, puis progressivement on a appris à connaître Villeneuve-d’Ascq et consorts.  Tout cela a fini par constituer une image d’un ensemble urbain indéfini et plutôt malaisé à cerner.

Wikipedia, de son côté, présente une aire urbaine de Lille composée de 130 communes situées dans les départements du Nord et du Pas-de-Calais. D’un point de vue urbanistique, l’agglomération lilloise se poursuit pourtant bien au-delà de la frontière, en Belgique, formant une agglomération d’au moins 2,1 millions d’habitants. Mais, pourquoi ne pas y intégrer Douai, Lens et Béthune presque contiguës ? De manière plus spectaculaire, un récent Atlas de l'Aire métropolitaine de Lille, publié par l'Agence de Développement et d'Urbanisme de Lille Métropole, présente une aire urbaine de 7 000 km² regroupant une population de plus de 3,5 millions d'habitants, faisant d'elle la deuxième aire urbaine de France et l'une des premières européennes en termes de population.

Inévitablement, ce manque de cohérence est perturbant et c’est clairement un écueil vis-à-vis de l’image de cet ensemble.

Dans son livre ‘’le territoire des hommes’’, le géographe Jean Poulit met en avant une notion très différente, mais en même temps très pragmatique. Le périmètre d’un territoire doit être évalué, explique-t-il, sur la base du temps de transport pour le parcourir. Il établit par ailleurs une forte corrélation entre la performance économique d’un territoire et le nombre d’actifs présents.

Reprenant cette analyse d’espace aisément accessible à moins d’une heure, la conurbation lilloise se découvre, de facto, un champ beaucoup plus étendu encore. Cela inclut maintenant une grande partie de la Cote d’Opale. D’ailleurs, s’il fallait s’en persuader, il suffirait d’observer la ligne TERGV reliant Lille et Calais en 25 minutes qui voit un nombre croissant de passagers commutant journellement entre le littoral et la gare Lille Europe.

Sur cette base, l’aire macro-économique de cette conurbation ‘’Lille sur mer’’ couvre un vaste territoire qui lui permet maintenant de mettre en évidence son fantastique atout de carrefour entre l’Europe continentale du nord-ouest et le Royaume-Uni.  

Sa visibilité, son attractivité, son image en seront incontestablement améliorées.

Il n’en demeure pas moins que dans la vie réelle la fluidité de transport est loin d’être aussi performante que celle que l’on peut observer dans les grandes métropoles à rayonnement mondial.  Notre agglomération aurait incontestablement besoin d’un véritable réseau de transport de type RER parisien.

À ce jour, l’optique défendue a été celle de la vitesse, délaissant malheureusement la notion de fréquence. Or, l’essentiel pour un utilisateur n’est-il pas finalement de pouvoir se rendre d’un point un autre de façon la plus rapide ? Lorsqu’on parle de vitesse, on oublie trop souvent les attentes entre deux trains qui font bien évidemment partie du temps de transport.

Il y aurait, sans doute, lieu de faire évoluer le matériel à fin de multiplier le nombre de rames en leur donnant une régularité similaire à celle qu’on trouve sur la ligne grande vitesse traversant le Kent par exemple. À savoir, un train toutes 30 minutes. D’un point de vue technique, il n’y a plus de difficulté aujourd’hui à faire circuler des trains avec les espacements beaucoup plus réduits. On peut, à cet égard, observer que certains TGV de la ligne Paris Lyon se suivent à vitesse de plus de 320 km/h avec un espace de trois minutes. Cela fonctionne…

Nous pourrions donc faire circuler beaucoup plus de rames permettant une fluidité de transport bien meilleure en utilisant du matériel adapté, permettant par exemple de diminuer le temps d’arrêt aux quais avec notamment des espaces d’accès aux rames mieux adaptées. À quoi sert un engin performant parcourant la distance Calais Lille 25 minutes, s’il faut de longues minutes pour s’en extraire.

Cette politique de mobilité entraine nécessairement un cout supplémentaire. En contrepartie, l’absence de fluidité coûte elle-même sous forme de temps perdu dans les embouteillages routiers, mais surtout de surcout de logement, lié à une trop forte concentration de la population. Celle-ci pourrait être, sans doute, mieux répartie sur les différentes aires de vie de l’ensemble de cette nouvelle agglomération. Dans l’hypothèse d’une meilleure fluidité de transport au sein de l’ensemble de la conurbation de population, nous verrions en effet, ici comme ailleurs, se dessiner, petit à petit, des choix de résidence d’une partie de la population en fonction d’avantage en termes de cout du foncier ou des loyers.

L’impact du coût du logement au sein des revenus des ménages est tel qu’une baisse, même minime, améliorera sensiblement le pouvoir d’achat, suscitant une consommation globale supplémentaire. Cela entrainera aussi des ressources additionnelles au niveau de la Région qui aideront à financer ce réseau de transport.

La mise en place de ce type de fluidité aura un effet également positif pour le monde économique. Cela permettrait de mieux répartir la charge du foncier immobilier des entreprises.  À titre d’exemple, n’est-il pas paradoxal de voir les entreprises investir à grand prix le secteur Lille Europe et celui de la Haute-Borne à Villeneuve-d’Ascq, alors que l’on dispose d’un foncier disponible juste en face de la gare de Calais Frethun, à 25 minutes du centre de Lille, mais aussi à 58 minutes du centre de Londres.

Cette fluidité de transport indispensable bénéficie d’un réseau ferroviaire qui a été construit par la clairvoyance de nos aînés et les options techniques d’aujourd’hui permettent de l’améliorer sensiblement sans requérir des montants considérables. Mais, in fine, le plus important est que nous avons le choix de ces décisions, car la compétence ferroviaire est dans les mains de notre région.

C’est donc une vision politique d’une plus grande fluidité qu’il faut défendre à fin de mieux équilibrer les différentes parties de cette immense agglomération de vie, véritable poumon économique de toute une région.